« Biographie »
Travailleur infatigable sous des airs nonchalants, trousseur de calembours maniant avec finesse la langue verte et le propos grivois, maître ès argot, mais puriste, il utilise un langage à citer en exemple dans un monde où le pléonasme, l’impropriété, la faute d’orthographe, et pour tout dire la trivialité, sévissent de toutes parts, sonnant l’exécution capitale du français.
Chanteur et avant tout poète, gourmand des mots et des nourritures, adepte d’un hédonisme qu’il prescrit volontiers, bon vivant chaque fois que possible, il dresse, dans la plaisanterie ou le sérieux, d’une écriture mordante, des tableaux de mœurs où, parfois burlesque et toujours minutieux, il révèle avec pertinence les lacunes d’une société plus que jamais agitée d’inquiétantes convulsions.
Suscitant le rire, exaltant les sentiments justes, fustigeant les intolérances, il avance, témoin de son temps, sur une voie claire et sans compromissions, excellant dans l’art du portrait, passant du récit taquin à la constatation acérée et au réquisitoire face aux comportements inconvenants. Gratifié de talents dont il fait usage sans étalage, baladin gracieux et courtois d’une époque maussade et velléitaire, il chante avec précision les beautés, travers, plaisirs et indécences, balançant entre amuseur public et narrateur lettré.
C’est dans la jolie ville de Castelsarrasin, Castel, comme disent les gens du cru, que, le 9 juillet 1934, vient au monde Pierre, premier fils de Maurice et Claudia Perret.
Sur les bords du canal latéral à la Garonne, Maurice tient le Café du Pont, bar-restaurant où aiment se désaltérer et se nourrir de bonne cuisine régionale les mariniers qui font halte après avoir emprunté la pente d’eau de Montech, les ouvriers métallurgistes, des soldats, ou les agriculteurs venus vendre leurs produits au marché. Là, le gamin entame une enfance pittoresque, bercée par cette clientèle hétéroclite, authentique et franche dans ses propos, terrain propice à l’observation de personnages originaux, taciturnes ou forts en gueule, raffinés ou pue-du-bec.
Loin des péroreurs parisiens, il découvre du vrai, du solide, des cultures différentes, dans ce Café du Pont, siège de tous les parlers, toutes les opinions, parfois tous les excès, la meilleure école du langage imagzé, et aussi celle de la vie. Sur l’insistance de son père, il commence à huit ans l’apprentissage du solfège et du saxophone, instrument qui le séduit modérément, mais envers lequel il manifeste cependant quelque aptitude, davantage en tout cas que pour sa scolarité, poursuivie malgré tout jusqu’au Certificat d’études.
À quatorze ans, il entre au Conservatoire de Toulouse, la ville rose où s’épanouissent volontiers les artistes, s’inscrivant en même temps aux classes de musique et d’art dramatique, et crée un petit orchestre qui, quelques années durant, assurera dans la région bals, kermesses et mariages en tous genres. Faisant ainsi la connaissance d’un métier, il se passionne également pour la lecture, consacrant une bonne partie de ses loisirs à fréquenter les librairies de Toulouse, en particulier celle de Monsieur Labadie, qui, prodiguant des conseils avisés et bienveillants, l’intéresse plus encore à une langue dont il deviendra, un jour, l’un des plus zélés défenseurs.
Pierre monte un beau jour à Paris, faisant la route en voiture avec des copains, pour aller écouter un chanteur qui se produit au Théâtre des trois Baudets. Georges Brassens est celui qu’ils ont choisis d’aller applaudir. Ils l’admirent tous les 4 mais c’est Pierre qui va lui rendre visite dans sa loge. Très vite, une amitié s’instaure entre ces deux gars du Sud dont les idées se rejoignent et dont les écritures s’avéreront en fin de compte assez proches.
Mais voici que l’Armée se manifeste, invitant sans contestation imaginable Pierre Perret à remplir ses obligations de bon citoyen. Dans la mesure où il est musicien, l’épreuve ne sera pas trop dure, car il a choisi d’être affecté à la musique du Train, à la caserne Dupleix, où il séjournera 27 mois. C’est durant ce service militaire décontracté qu’il élabore sa première chanson, Rosette, puis, revenu à la vie civile, il continue à écrire et composer, évoluant dans l’entourage de Brassens, qui l’encourage à pousser plus avant son expression fraîche et sensible.
Il se met par ailleurs à fréquenter assidûment l’écrivain Paul Léautaud, cloîtré à Fontenay-aux-Roses en solitaire misanthrope, qui développe son éducation en matière de littérature, de poésie, et qu’il sera l’un des rares à côtoyer régulièrement jusqu’à la fin 1955 peu avant sa mort en 1956.
Écrivant pour la chanteuse Françoise Lô, plus tard connue sous le nom de Sophie Makhno, avec qui il partage une chambre de bonne place Pereire, il l’accompagne à la guitare lorsqu’elle est engagée par le directeur des Trois Baudets Jacques Canetti. C’est l’un des plus grands découvreurs de talents français, et aussi, ce qui n’est pas un mince compliment, il reçoit les félicitations de Boris Vian. Canetti envoie Françoise « se roder » à la Colombe, dans l’Île de la Cité. Pierre, encouragé par Puppchen la compagne de Brassens, compose alors des chansons pour lui-même et les chantent à son tour à la Colombe. Émile Hebey, agent de nombreuses vedettes, le remarque, le prend sous son aile et le présente aussitôt à Eddie Barclay, avec qui un contrat d’enregistrement est signé en 1957.
C’est dans les bureaux du « roi du microsillon » qu’il fait une autre rencontre d’importance, celle de Simone Mazaltarim, avec qui, dans la mesure où elle l’a un peu raillé dans le seul but d’attirer son attention, ce premier contact tourne au vinaigre, finissant en authentique et superbe engueulade. La suite, cependant, prouvera qu’il n’est pas insensible à son charme, puisque, l’ayant rebaptisée Rébecca, sans doute pour signifier une évolution dans sa vie, il l’épousera, fondant une famille avec celle qui, toujours, restera son plus fidèle soutien dans sa carrière comme dans leur existence commune.
Tout en poursuivant la tournée de cabaret qu’il effectue alors chaque soir, Pierre enregistre Moi j’attends Adèle, premier 45-tours où il manifeste, déjà, une prédilection pour les paroles coquines dans une grivoiserie de bon aloi. Il parcourt aussi les routes de France et d’Afrique en première partie des Platters, le groupe vocal américain qui truste alors les hit-parades, et obtient le fugitif Prix de la Révélation 1958. Mais, après un passage à Bobino, la maladie vient briser net son élan, une vilaine pleurésie lui imposant un repos de deux ans dans un sanatorium, épreuve au cours de laquelle, pour l’aider financièrement, plusieurs artistes organisent à son profit un Musicorama exceptionnel.
Cette pause involontaire, toutefois, aura des conséquences bénéfiques, lui donnant le loisir nécessaire pour écrire et composer en abondance, ce qui lui permettra de graver un 33-tours 25 cm : Le bonheur conjugal. Ses tournures de phrases, son humour, sa gouaille, sa poésie, plaisent, mais, les ventes n’étant pas au rendez-vous, libéré de son contrat chez Barclay, c’est Lucien Morisse son ami directeur artistique à Europe 1 qui le fait entrer dans une autre maison celle des disques Vogue, que dirige avec bonhomie Léon Cabat. Pierre y enregistre en 1963 Le Tord Boyaux, qui aussitôt explose sur les ondes. Cette histoire de « boui-boui bien crado » au langage vif, drôle et fort, sur une mélodie pétillante, enthousiasme si bien que le 45-tours s’écoule rapidement à cent mille exemplaires.
Vient ensuite Les filles ça me tuera, qui commence à ébaucher la diversité du style Perret, puis, en 1964, Trop contente, année où il passe à l’Olympia en première partie des… Rolling Stones, dans un programme hétéroclite où figurent également le groupe Rocky Roberts & The Airedales et le charmeur italien Bobby Solo.
Quittant son HLM de Gennevilliers, la famille, sur l’insistance de Rébecca, s’installe dans un vieux bâtiment presque en ruines proche de Nangis, en Seine-et-Marne. À force d’opiniâtreté, ils feront de ce petit domaine en pleine nature, La Garde Dieu, une confortable et accueillante résidence où, fuyant les méfaits des additifs industriels, ils cultivent un immense jardin potager et élèvent volailles et cochons.
Pierre Perret cartonne à nouveau en juin 1966 avec une chanson qui va devenir le tube de l’été et entrer dans le répertoire d’innombrables enfants : Les jolies colonies de vacances. Au mois de novembre, il est de retour à l’Olympia, en vedette cette fois. Le succès ne fléchit pas, puisqu’à ces colonies de vacances un peu spéciales succèdent les aventures de Tonton Cristobal, autre scie populaire auprès des gamins, et le savoureux La bibise d’accord. L’Olympia qui suit, en 1968, donne lieu à un album en direct, appuyé par un nouveau et énorme tube, Cuisse de mouche.
Effectuant d’incessantes tournées, il trouve néanmoins le temps d’être au cinéma le personnage central du film de Claude Autant-Lara Les patates, dont il compose la musique. Dans un registre inattendu, il y tient le rôle d’un petit ouvrier un peu paranoïaque qui, durant la guerre, se débrouille pour s’approvisionner en pommes de terre, provoquant l’hostilité des autres villageois. Mais, surtout, il crée en 1969 sa propre maison de disques, Adèle, qui lui donne la formidable liberté de décider à sa guise du contenu de ses chansons et de leurs arrangements, d’enregistrer comme il le veut et ne dépendre de personne. Cette bonne chose faite, il est à nouveau devant les caméras pour Le juge, western parodique de Jean Girault basé sur les aventures de Lucky Luke, dont il écrit la bande originale et où il incarne Roy Bean, magistrat assez particulier qui possède le saloon et dirige tout dans sa ville.
Lorsqu’il remonte en octobre 1970 sur une scène parisienne, c’est à Bobino qu’il triomphe cette fois, succès conforté l’année suivante par Non j’irai pas chez ma tante, Les baisers, le très poétique La cage aux oiseaux, que vont bientôt chanter tous les enfants francophones, et par le facétieux Dépêche-toi mon amour. Dans un domaine plus formellement littéraire, il publie Adieu, Monsieur Léautaud, livre d’hommage sur son amitié avec l’écrivain disparu.
Mais tout cela n’est rien, comparé à ce qui va suivre. En 1974, en effet, alors que le débat sur l’éducation sexuelle à l’école fait rage dans le monde politique et la société française, il enregistre Le zizi, entonné sans tarder par tout le pays dans un élan de jubilation populaire intense. De toutes parts, on se goberge de ce désopilant zizi visant à réprouver l’hypocrisie d’une époque par rapport au sexe et qui suscitera une interdiction à la radio d’État, mais aussi un plébiscite national avec cinq millions d’exemplaires vendus pour le 45-tours, plus d’un million pour le 33-tours, et seize Disques d’Or.
Ayant achevé une nouvelle série de tournées, dont les déplacements se faisaient souvent en famille, il décide d’interrompre momentanément ce programme « trop » chargé, et décide de se consacrer aux voyages pendant près de trois ans. Il effectue en 1977 son retour avec Lily, qui, dénonçant la xénophobie et le sort des immigrés, lui vaut le Prix de la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme chanson étudiée depuis dans des milliers d’écoles.
Deux ans après, poussé par le désir d’approfondir son étude de la langue française, il publie un deuxième livre, Les pensées, puis revient à la chanson sur des thèmes très sociaux, par exemple L’hôpital, qui aborde le problème de la pauvreté dans la vieillesse, À cause du gosse, où il parle du divorce, et peut-être surtout Mon p’tit loup, sur un sujet, celui du viol, appelé à connaître plus tard une triste actualité. Puis, intensifiant son analyse des crises de société, il se penche sur les difficultés des banlieues déshéritées dans Y’a cinquante gosses dans l’escalier, et stigmatise avec Elle attend son petit les commandos anti-avortement, comme il évoquera dans un autre domaine les méfaits de la télévision avec La télé en panne.
Après Comment c’est la Chine ? album enregistré fort à propos au retour d’un voyage dans le Céleste Empire, Pierre fête ses vingt-cinq ans de carrière à Bobino, mais écrit aussi Le Petit Perret illustré par l’exemple, dictionnaire de l’argot où il démontre sa remarquable maîtrise de la langue verte et qui remporte un formidable succès : remis à jour en 1991, il dépassera en effet les six cent mille exemplaires.
Il écrit tant et si bien qu’il entre en 1988, à la demande de Michel Rocard, alors Premier ministre, au Conseil supérieur de la langue française, où, avec les autres membres, il explore les questions relatives à l’usage, l’aménagement, l’enrichissement et la promotion de la langue, honneur impressionnant pour un titulaire du seul Certificat d’études, dont, cependant, vingt-deux écoles portent aujourd’hui le nom.
Auparavant, en veine de révélations, il a entrepris de partager l’un de ses biens les plus précieux : les recettes de cuisine, dévoilées dans Le petit Perret gourmand, vendu à plus de quatre cent mille exemplaires. Il y confie notamment les secrets du cassoulet cher à son cœur, avec d’authentiques haricots tarbais, de succulents confits d’oie, de la belle saucisse fraîche et une dodue couenne de porc. Cette gourmandise naturelle ne l’empêche pas d’éprouver, peut-être justement parce qu’il a la chance de pouvoir y satisfaire, des préoccupations quant à la famine en Afrique, exprimées en 1989 dans l’album Riz pilé.
Sur la demande de son ami Georges Lacroix, spécialiste du dessin en trois dimensions sur ordinateur, il réécrit à sa manière les Fables de La Fontaine, dont sa version est diffusée par de nombreuses télévisions francophones et dont la sortie en vidéo connaît un sérieux succès commercial. Pour préparer le disque suivant, Bercy Madeleine, il pratique, comme à l’accoutumée, l’isolement total, travaillant avec ténacité de sept à vingt-et-une heures et marquant à peine quelques pauses, sans même faire la cuisine, lui qui pourtant adule la bonne chère.
Après trois semaines au Casino de Paris pour commencer l’année 1993, il publie Les grandes pointures de l’histoire, livre où il désacralise des personnages célèbres en racontant leur vie à sa façon, puis Chansons de toute une vie, une presque intégrale reprenant plus de deux cent cinquante titres de son répertoire. L’écriture est chez lui un besoin profond : il aime à jouer avec les mots, les inventorier, les compiler, chercher les plus séduisants ou les plus cocasses, ce qui l’amène à rédiger plusieurs ouvrages. D’une part Jurons, gros mots et autres noms d’oiseaux, d’autre part une Anthologie de la poésie érotique où il fait l’apologie de « la collision de l’asperge et de l’abricot fendu », et, parallèlement, une Anthologie de la chanson érotique qui sera triple Disque d’Or. Il n’est donc pas surprenant qu’en remontant sur la scène du Casino de Paris, il le fasse avec un récital à dominante érotique, enregistré sur un double CD.
Ayant obtenu un Grand Prix de la Sacem, il s’avise qu’il n’est pas le seul, à La Garde Dieu, à démontrer des talents culinaires, et publie, sous le titre La cuisine de ma femme, les recettes de Rébecca.
La France, entretemps, a vécu des moments contrariants. L’extrême droite a connu un regain de popularité. Les pollutions de tous ordres se sont développées. Les intégrismes religieux se sont réveillés. Les excès de certains dogmes et doctrines, les inerties face à un empoisonnement lent et avéré, la montée des ségrégations le dérangent, et sur tout cela il s’est mis à écrire. Il en résulte en 1998 l’album La Bête est revenue, où, bien qu’il ait retravaillé et tempéré plusieurs textes sur l’insistance de ses avocats, il dénonce de façon directe et explicite les dérèglements d’une société à la recherche d’elle-même. Il y met en exergue le chauvinisme, l’ostracisme, le fondamentalisme, la destruction de l’environnement, reçoit des courriers d’insultes, de menaces, mais il n’en a cure, sûr de sa bonne conscience. Début 1999, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme, lui décerne son Grand Prix.
Après avoir réuni dans un coffret quinze de ses albums originaux remastérisés, retraçant quarante années de chansons, il publie Laissez chanter le petit ou la balade de Pierrot, ouvrage biographique illustré de photographies, où il raconte précisément comment sont nées ces chansons. Il mène ensuite une importante tournée, édite l’album Éroticoquines, et devient en 2001 membre du très sérieux Comité d’Orientation pour la Simplification du Langage Administratif, où il côtoie, à côté d’autres artistes, des linguistes, mais aussi les dirigeants de la Caisse d’Allocation Familiales, du Secours Populaire ou de l’association de consommateurs Que Choisir. À n’en pas douter, ils ont à accomplir une tâche considérable, et Pierre avoue d’ailleurs avoir senti ses cheveux se dresser sur la tête face à des formulaires surréalistes. Il ne rechigne donc pas à contribuer à leur clarification, partant du principe que si l’on peut dire en trois minutes beaucoup de choses dans une chanson, il doit être possible de réduire à l’essentiel certains écrits officiels.
En 2002, il est honoré du Prix Alphonse Allais, seul prix littéraire à récompenser l’humour, tandis qu’il publie Le parler des métiers, recensant le vocabulaire imagé et souvent très drôle de cent quarante-cinq professions, tâche ardue ayant nécessité plus de treize années de travail bardé d’enquêteurs qui collectèrent de précieux vocables et locutions dans tout l’Hexagone. Tout ceci afin de garder la mémoire d’un patrimoine collectif où l’on découvre de petits bijoux linguistiques. C’est l’année où paraît également Çui-là, fustigeant inlassablement, une fois encore, les puissances de l’argent et les grands salauds, stigmatisant les marchands d’armes, les dealers, le dopage, les rapaces de la mondialisation et les États à la morale élastique. Mais, toujours un peu fleur bleue, il y chante aussi l’amour sous ses diverses formes, coquine, leste ou poétique.
Son nouveau passage au Casino de Paris est l’occasion d’un enregistrement en public où l’on remarque, au côté de ses plus célèbres succès et de quelques polissonneries, deux terribles réquisitoires : Au nom de Dieu, sur la connerie des guerres de religion, et La petite kurde, qui, diatribe contre les soudards bestiaux, pourrait être son complément. À peu près au même moment, les librairies accueillent son autobiographie, Le Café du Pont, que Manuel Poirier adaptera en film en 2009, et vient ensuite Mélangez-vous. Là, à côté de chansons égrillardes et de jolis poèmes, il établit le constat des anomalies d’une planète où rien ne se déroule comme on l’aimerait. Prônant la mixité raciale, moyen efficace d’éroder les préjugés, il relève la détresse morale des prostituées, la misère des hôpitaux, et dresse un quasi résumé de l’imbécillité humaine, meurtrière de la liberté d’expression.Et puis, sous forme de pied de nez aux radios, il y rend aussi hommage à celui qui fut son ami et un peu son maître, Georges Brassens, qui, s’il revenait « n’donnerait plus souvent l’aubade à la radio l’matin » parce qu’il n’a pas la bonne couleur sonore…
S’il a, jusque-là, parsemé son répertoire de grivoiserie, il ne s’est pas encore, si l’on ose dire, complètement penché sur la question, carence bientôt comblée avec Le plaisir des dieux. « Il y a des lustres, dit-il alors, que je rêvais d’enregistrer un jour ces chansons de salle de garde », et il rappelle à ce propos les joyeux moments passés en compagnie de Brassens à entonner, guitare en main, ce folklore paillard et provocateur, inventant des paroles lorsque leur mémoire s’avérait défaillante. Aux classiques tels que Le père Dupanloup ou Les filles de Camaret, il ajoute d’ailleurs sur ce disque Le petit-fils d’Œdipe, qu’il a mis en musique sur un texte du grand Georges.
2007 voit la parution de deux nouveaux livres aux contenus bien différents. D’abord Les petits métiers, d’Atget à Willy Ronis, florilège de surprenants gagne-pains allant du ramasseur de mégots à l’allumeur de réverbères, activités marginales et poétiques mises en images par les plus grands photographes. Pour accompagner les clichés délicieusement anachroniques d’Eugène Atget, Robert Doisneau ou Willy Ronis, il y évoque son grand-père colporteur, sa mère trieuse de plumes dans son enfance et les excentriques personnages qui défilaient dans le café de ses parents.
L’autre ouvrage est une édition actualisée du Perret gourmand, où, en connaisseur avisé, il recommande, rejetant l’insipide et le crapoteux, de manger des choses simples, des mets ayant du goût, et de boire des vins francs, qui sont les meilleurs et les plus rares.
Puis, revenant à d’autres voluptés, il enregistre Les dieux paillards, double CD constituant la suite naturelle du Plaisir des dieux, à la différence près qu’il s’amuse, cette fois, à de véritables recréations, écrivant tour à tour des paroles ou des musiques originales, quand ce n’est pas les deux à la fois. La même année paraît A cappella, livre qui reprend son histoire là où l’avait laissée Le Café du Pont, avec ses anecdotes et ses rencontres extraordinaires, les années de vache enragée, les tournées et les coups bas du monde de la musique, toute une époque où germait un succès qui ne devait plus le quitter.
Après un nouveau détour par les chemins de la luxure avec Les trésors de la paillardise, Pierre Perret nous octroie un album de la plus haute importance, La femme grillagée, où, à côté de ses habituelles expressions de la tendresse, de l’humour ou de la poésie, figurent des sujets de société traités d’une plume acérée. La femme grillagée, c’est celle qui porte la burqa, dont elle est prisonnière au sens moral comme au physique, rabaissée au rang d’objet par des préceptes incompréhensibles, mais il y a en outre dans ce disque la mise en évidence de bien d’autres failles. Concernant les femmes, il évoque encore celles qui sont battues, meurtries dans leur chair et leur corps, et aussi le plaisir féminin, puis il pose d’autre part un regard alarmé sur Les enfants d’là-bas, gosses des pays en guerre frappés de famine et de misère. Avec La mère des cons, il constate par ailleurs les méfaits d’Internet, cette toile où les cons en question échangent entre eux « la diarrhée de leur cerveau ». « Le paradoxe, note-t-il pertinemment à ce propos, est que le con croit que c’est les autres qui le sont. »
Ranimant ensuite un autre de ses amours, il publie Tous toqués, recettes où il explique comment réaliser en peu de temps des plats succulents, simples et peu coûteux, y ajoutant une infinité d’astuces permettant de résoudre bien des problèmes de cuisine. Exprimant une fois de plus son credo envers l’authenticité du goût, de la texture et de la saveur, il confie là des secrets dont certains chefs torturés du bulbe auraient mérite à s’inspirer.
En 2011, au moment d’attaquer un nouvel Olympia, il publie Les poissons et moi, recueil d’anecdotes sur tous les pays où il a pêché, mais nous gratifie surtout de cette intégrale où l’on retrouvera avec bonheur son répertoire qui, sans cesse, navigue entre humour et tendresse, libertinage et analyse sociale, facétie et révolte. On y constatera que, posant des questions en abondance sous des airs naïfs et parfois enfantins, Pierre Perret reste avant tout le champion de la vérité, dénonçant mine de rien, d’une écriture précise, toutes les bassesses, ignominies et inégalités.
Le 26 juin 2003, l’Académie Française a fait l’immense honneur de décerner à Pierre PERRET la médaille de vermeil pour l’ensemble de son œuvre.
Les Editions Robert Laffont publient son livre rempli de parfums d’enfance « Le café du Pont » qui est lui aussi un best-seller.
Depuis une bonne vingtaine d’années, il a une vraie complicité avec les Ogres de Barback. Leur modestie n’a d’égale que leur talent dit-il d’eux.
Ils lui ont fait la surprise et l’amitié d’enregistrer un album entier de ses chansons La tribu de Pierre Perret.
Sans compter les sorties d’albums tel que Humour liberté, Mes adieux provisoires, Mes bijoux de famille, et le dernier en date Ma vieille carcasse, ainsi que son livre Aphorisme & Blues.
Enfin, avoisinant le quartier de l’usine où il a passé son enfance au café du pont familial à Castelsarrasin l’aire d’autoroute A 62 qui relie Bordeaux à l’Espagne en passant par Toulouse vient d’être baptisée du nom de Pierre PERRET. On peut y découvrir tout l’univers de Pierre à travers sa carrière retracée fidèlement en visuel et audio. Il eut l’immense joie et la fierté de l’inaugurer le 21 Septembre 2023.
C’est à Nangis, dans sa maison, qu’il vit près de sa femme Rebecca. Il adore toujours faire la cuisine pour les amis qu’il reçoit. Il a un penchant très net pour la gastronomie de « bonne femme » et apporte des soins religieux aux bouteilles millésimées de sa cave.
Les heureux moments qu’il savoure à l’avance : partir en voyage avec les siens, préparer ses cannes pour aller pêcher le saumon et courir les bois pour y cueillir les champignons. Il s’occupe aussi de ses animaux et notamment de ses chiens avec lesquels il fait de longues randonnées dans la campagne environnante.
Il affectionne particulièrement les meubles anciens, la peinture, les objets insolites ramenés de nombreux voyages à l’étranger, les machines à sous, les vieilles machines à coudre, les journaux anciens, les manuscrits d’auteurs qui lui sont chers et … ses amis qui lui sont encore plus chers !
Une vie de création bien remplie !
Il vient d’accomplir le « Feu d’artifice » qu’il avait annoncé en 2020 avec ses : « Adieux provisoires » qu’il a fêté à Paris Salle Pleyel…avant d’aller gazouiller dans la foulée dans toute la France ainsi que chez ses amis Belges et Suisses. Durant ces 2 années il vient d’effectuer une tournée triomphale à guichets fermés.
Ses projets ? Un album de chansons nouvelles à l’horizon de 2026 après la sortie du dernier ouvrage qu’il vient d’écrire sur sa grand-mère : Mémé Anna.
Après cela : « IL VERRA » !!
Avec plus de 60 années de carrière, les refrains de Pierre Perret, malgré le décervelage des temps présents, persistent à chercher le mot juste dans une phrase soignée, il nous fait le cadeau d’un passionné de belle vie dont la vocation semble furieusement être, en matière de chanson, de mettre sans relâche les pieds dans les plats.
Alain-Guy Aknin